Enquête : Greffier, le pauvre du système judiciaire haïtien

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Un greffier gagne à peine 6 dollars par jour. Son salaire ne lui permet pas répondre à ses besoins les plus élémentaires. Cependant, il est la plume du juge, un acteur clé du système judiciaire.

(Lisez cette enquête sur les conditions de vie d’un greffier.)

Cap-Haïtien, le 7 Août 2019.- Il est 9:50 am, le mercredi 7 août 2019, le greffier Henri Joseph* est arrivé à la seule salle réservée aux greffiers du tribunal de paix de la section Sud du Cap-Haïtien, département du Nord d’Haïti.  Deux justiciables, un homme et une femme, assis sur un banc l’attendaient déjà pour des services juridiques. Il prend siège. Il récupère un morceau de tissus et se met à essuyer lui-même le bureau qui, semblerait-il, comportait encore des poussières.

Dans le greffe, il y a deux espaces de travail non séparés distinctement l’un de l’autre, comportant chacun un bureau et devant lequel se trouve un long banc. Dans cette salle qui fait très chaud et sans l’électricité, le greffier Henri Joseph* traite les cas des justiciables. Et pour consigner un acte, il se met derrière une vielle machine à taper du 20ème siècle, à forcer ses doigts sur les boutons pour arriver à coller les mots. Pas d’ordinateurs ! La salle de travail n’est pas informatisée et n’a pas d’accès à un système d’internet. 

Un salaire misérable pour les greffiers 

Un autre greffier, Samuel Georges * interrogé sur sa condition de vie nous révèle que le salaire mensuel net d’un greffier est environ 17,000 (dix-sept mille) Gourdes. « C’est un salaire de misère ! Ce que je touche ne représente rien », a déclaré le greffier Georges* licencié en droit, âgé dans la cinquantaine et qui a une vingtaine d’années de carrière dans le greffe. « Avec ce que je gagne, je ne peux donner à manger à la maison voire de répondre à d’autres obligations », poursuit ce greffier qui est marié et père de trois enfants, 2 filles et un garçon. Il explique que son revenu annuel avoisine les 209.000 Gourdes (Deux cent neuf mille gourdes) « Pour la scolarité de mes trois enfants je dépense pour l’année plus de 200 000 (deux cents mille Gourdes. » lâche le greffier Georges. Il poursuit, « De ce montant n’inclut pas les dépenses pour la confection des uniformes, l’achat des articles scolaires, la nourriture à la maison, les frais de transport aux enfants pour aller à l’école, les frais de poche, le loyer, l’achat d’autres vêtements et les cas de maladie, entre autres » a expliqué le greffier d’un visage pâle. Il tire ainsi la conclusion que son salaire ne peut répondre en rien à ses besoins les plus élémentaires.

Il avoue par ailleurs que les greffiers n’ont pas d’heure de travail. Ils peuvent être sollicités à n’importe quel moment après les heures régulières de bureau, selon les urgences. Toujours selon ses précisions, les greffiers de ce tribunal ne sont couverts par aucune forme d’assurance (vie, maladie) et ne bénéficient d’aucun autre avantage social. Ils n’ont pas de fiches d’essence, ni une carte de débit. « Depuis mes vingt ans dans ce travail, je n’ai jamais eu une police d’assurance. On m’a demandé de déposer mon dossier. Ce que j’ai fait. Jusqu’à date aucun suivi n’a été donné. Pourtant, le greffier, c’est le moteur du tribunal. Le poumon du tribunal ! C’est l’âme du tribunal et qui mérite un meilleur traitement, par rapport à son importance », a conclu le greffier Georges. Il n’écarte pas la possibilité d’abandonner le métier de greffier pour s’adonner à d’autres activités qui peuvent l’aider à mieux répondre à ses besoins.

Je ne suis pas fière d’être greffière !

L’une des deux femmes greffières au tribunal de paix s’est aussi confiée à nous. Nicole François* vient à peine d’intégrer le greffe, Elle a été nommée depuis quelques mois et n’a pas encore reçu son chèque depuis qu’elle fournit ses services. « J’ai ma lettre de nomination mais je ne sais pas quand je vais recevoir un salaire. J’étais passé au Ministère de l’économie et des finances à Port-au-Prince.  Quand j’ai posé la question à une responsable au Ministère, à savoir quand est-ce que je pourrais espérer recevoir un chèque ? La dame m’a répondu laconiquement je pourrais revenir après un an ou deux. » explique la greffière Nicole. « Je passe un temps ici. Mais je ne vois pas d’avenir. C’est juste un passe-temps. Ce boulot ne peut pas vous aider à progresser dans la vie », lâche-t-elle. La greffière dans la vingtaine a déjà terminé ses études de droit. Elle prépare actuellement son mémoire pour l’obtention de licence. « Je dois trouver au moins 100 gourdes chaque jour pour payer les frais de transport pour venir travailler.  En plus de cela, je dois trouver de l’argent pour me nourrir et me vêtir. Je dépense chaque jour sans aucun revenu ! Je n’ai aucun espoir non plus ! », avoue la greffière. « Je ne compte pas rester ici. Je considère cela juste comme un passage dans ma vie », conclut-elle.

Le Tribunal de paix de la section sud du Cap-Haitien comprend 8 greffiers dont 6 hommes et 2 femmes. Cependant, l’un des greffiers qui a été victime d’un accident cardio-vasculaire, ne vient pas travailler depuis sa crise, a fait savoir un responsable du greffe.  

En mai dernier les greffiers des 18 juridictions du pays étaient en grève pour demander une revalorisation de salaire et de meilleures conditions de travail. 

Plume du juge ! L’assistant du juge ! Le greffier doit assister le juge en tout acte juridique et est considéré comme le poumon du tribunal.

Malheureusement, selon eux, ils sont les plus marginalisés, les plus mal traités donc les plus pauvres du système judiciaire haïtien !

Ruben DUMONT

Journaliste investigateur

Vant Bèf Info 

PS.- *Noms d’emprunt